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Publié par Cire Cassiar

les ténèbres

Jamais je n’aurais imaginé devoir parcourir un si long trajet à pied, chargé comme un baudet, sur un chemin si étroit que parfois même un cheval ne pourrait y tenir.

D’un côté la paroi rocheuse, de l’autre le ravin, si profond que je n’ose regarder de peur de m’y engouffrer.

Le camp de base se situe au pied du plus haut sommet, un vent froid dévale les pentes, sautant par-dessus les reliefs tourmentés il provoque des bourrasques parfois violentes, au point de nous bousculer ; Malgré tout je souris en voyant notre guide dévaler la piste après son couvre-chef en hurlant, à qui veut l’entendre, de l’attraper son avant qu’il ne saute dans le vide.

La voie est escarpée, ma respiration est difficile, le manque d’oxygène dû à l’altitude.

Un orage barre notre route et déjà le ciel s’obscurcit, il va bientôt faire noir. Soudain, un éclair fulgurant frappe les blocs de granit nous surplombant, projetant, en tous sens, des éclats de roches.

À peine avons-nous le temps de nous jeter contre la paroi rocheuse, qu’une avalanche de terre, de blocs et de glace vient s’écouler de part et d’autre de notre abri de fortune.

Cette gorge aurait pu devenir notre cimetière si notre guide qui, après avoir récupéré son bien, n’avait aperçu le fragile équilibre des amas rocheux, sans lui nous n’aurions plus le loisir d’écouter le chant des oiseaux au printemps.

Une fois ce moment de stupeur passé, nous traversons prudemment les obstacles et reprenons notre ascension, couverte par la musique du vent sifflant entre les roches.

La pluie fait place à un superbe clair de lune, on dit qu’en montagne le temps change très vite, je le confirme, la température grimpe et le vent tourne aussi vite qu’une girouette, maintenant il remonte la vallée, nous réchauffe et sèche nos vêtements trempés par l’averse que nous venons de subir après la tourmente.

Au détour du chemin apparaît le village fortifié, notre halte, accroché autour d’un piton rocheux flanqué d’une tour perchée sur le sommet.

Un mince trait de lumière se glisse entre deux bâtiments, comme un projecteur géant, éclairant le petit pont de bois qui relie l’agglomération à la voie. En approchant de celui-ci nous remarquons un écriteau, dont le texte, semblable à des instructions secrètes, écrit dans une langue inconnue de tous, nous laisse perplexe.

Le guide semble suspicieux, nous sommes fatigués, épuisés, après un court conciliabule nous décidons de passer le pont afin de demander asile aux habitants du cru.

Accueilli par ce que nous croyons être un gardien du temple, celui-ci nous oriente vers l’auberge située près de la porte principale et disparaît aussitôt. Curieuse façon d’accueillir le passant, comme s’il craignait quelque chose ou quelqu’un.

Le village est vide, silencieux, seules les lumières de l’auberge éclairent notre chemin.

La bâtisse est basse, grise, sale, peu accueillante, la pierre qui la compose est usée par le temps, la vieille porte de bois brut s’ouvre en grinçant et la lumière jaillit comme un éclair dans l’azur.

Le guide en premier nous pénétrons dans la pièce, à peine entrés tous les regards se posent sur nous, un silence pesant s’abat sur l’assemblée durant quelques secondes, puis la vie reprend son cours, comme si de rien était, comme si notre arrivée était toute naturelle, comme si notre présence devenait normale.

Être ou paraître, ne sachant quelle attitude adopter en telles circonstances, nous optons pour le profil bas et nous nous glissons à la table la plus proche, espérant nous faire oublier des occupants.

La table en bois brut est aussi sale que les murs de la pièce, les tabourets bancals et de hauteurs inégales nous semblent guère confortables mais qu’à cela ne tienne, un peu de repos nous fera le plus grand bien.

L’aubergiste bedonnant, affable, cheveux longs et queue-de-cheval, arbore une longue moustache pendante et luisante, il s’approche d’un pas lent et balancé, sans un mot il nous sert une cruche de ce que nous pensons être du vin puis s’en retourne vers le bar ; Le breuvage s’avère être plutôt une sorte de bière peu gazeuse, trouble, mais notre soif est telle que nous ne rechignons pas devant l’offrande.

Toujours sans broncher, il nous rapporte, sur une planche de bois, quelques tranches d’un pain brun et de la soupe chaude dans un bol en bois dans lequel flottent quelques légumes et ce que nous croyons être des morceaux de viande, puis s’en retourne derrière son comptoir et reprend tout naturellement sa conversation.

Une coutume locale ? Nous avalons notre pitance avec avidité, l’ascension ayant creusé notre appétit. Repus, nos regards balayent la pièce au plafond bas et noirci par des années de feu de bois, c’est là que nous remarquons les occupants, dépenaillés, ils ont tous une arme accrochée à la ceinture, soit une dague, une hachette, une massue, un long couteau, tous ces attributs ajoutés aux marques ou cicatrices qu’ils portent au visage ou sur les avants bras, nous laissent dubitatifs.

Quoi qu’ils ne prêtent guère attention à notre présence, notre guide, prudent et avisé, nous fait remarquer l’attitude belliqueuse de certains d’entre eux et nous fait signe avec la tête de prendre la direction de la sortie.

Profitant d’une algarade entre deux buveurs passablement éméchés, nous nous glissons subrepticement à l’extérieur, non sans avoir déposé quelques pièces de monnaie locale sur la table. Ce n’est pas le moment de contrarier l’aubergiste, voyant la population locale, nous n’avons qu’une confiance limitée sur leurs intentions à notre égard si celui-ci manifestait de la grogne.

À l’extérieur, la nuit est noire à tel point qu’aucune ombre n’est perceptible, nos yeux ont peine à s’accoutumer, ce qui me trouble c’est de ne plus voir mes compagnons de voyage, je les entends, ce qui me permet de les situer.

Je m’appuie sur quelque chose de froid et lisse comme du marbre mais je ne saurais dire ce que c’est tellement le néant est épais autour de nous.

Nous n’osons nous déplacer, chacun fouille fébrilement dans son sac ou ses poches en quête de source lumineuse. Fort heureusement notre guide extirpe une lampe à huile de sa besace et la petite flamme nous attire comme des mouches. Devant l’ambiance glauque et la noirceur des lieux, nous décidons de quitter au plus vite cet endroit hors du temps.

Nous repassons, en file indienne, le petit pont de bois, derrière la flamme de la lampe du guide, seul repère au milieu de la noirceur des lieux.

Soulagés de quitter ce village aux allures funestes mais angoissés à l’idée de reprendre cette ascension nocturne sans savoir où nous allons, sans voir les obstacles ou dangers qui pourraient se présenter devant nous, nous n’avons d’autre choix, faire confiance aveugle en notre guide, maintenant notre vie dépend de son intuition et de son expérience.

D’après lui, le camp de base serait, en temps normal, à plus de deux heures de marche, mais sommes-nous en temps normal ?

Que suis-je venu faire dans cette galère ? Jamais plus je n’accepterais un tel pari…

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