L'orchestre titanesque
Il fallait reconnaître qu'ils avaient mis le paquet, la fête était réussie, l'orchestre, composé de sept musiciens, jouaient le même refrain depuis plus de quinze minutes, leurs cuivres brillaient de mille feux et la scène, empreinte de poésie, aurait pu paraître anachronique aux yeux d'un observateur non averti.
Une danseuse orientale, à moitié nue, décrivait des arabesques au travers de la foule et la chanteuse, à la voix suave et au jupon racoleur, semblant sortir tout droit d'un mauvais film, avait une coiffure qui lui donnait l'impression qu'elle avait oublié d'ôter ses bigoudis, ce qui lui conférait une beauté surannée.
Parfois faisant l'impasse sur un couplet, sans que cela ne paraisse, écorchant aussi une note au passage, d'ailleurs tout le monde s'en foutait, la fête battait son plein alors que la lune glissait mollement au-dessus de leurs têtes.
Demain était un autre jour; La soirée s'écoulait insensiblement au rythme des tambours et la frénésie s'emparait sournoisement de la foule, tout le monde dansait sans se soucier ni de rien, ni de l'autre et la masse grouillante, hurlante, hystérique se déplaçait alternativement d’un bord à l'autre au rythme de l'océan.
L'orchestre entama un crescendo bacchanalesque et la foule, gesticulante, hurlante, entra dans une sorte de transe comme possédée par les démons.
Cette marée humaine, envoûtée, se transforma en une conscience collective ou plus rien ne semblait pouvoir l'arrêter; des femmes hurlaient, des hommes se roulaient à terre, certains arrachaient leurs vêtements, convulsaient, d'autres perdaient toute humanité en se trémoussant devant leur partenaire comme un animal sauvage en rut.
Le capitaine stoïque, fidèle à son poste, observait pour la millième fois la proue de son navire s'enfonçant, lentement mais surement, dans les flots noirs de l'Atlantique Nord, pendant que la lune et les étoiles semblaient se dissoudre une à une à l'horizon.