Nous voulions voir le toit du monde - Le grand départ
Le Grand départ
Fin septembre, enfin nous étions prêts, du moins nous le pensions.
Je n’ai que de vagues souvenirs, sans grand intérêt, de la traversée de la France, pourtant, Rouen est bien loin de Menton, mille deux cents kilomètres, surtout avec une 2CV chargée à bloc, du matériel sur le toit qui ne permet pas de dépasser les 85 km/h comme vitesse de pointe, sans vent…
Nous n’avions qu’une hâte, traverser la frontière ; Et oui ! À cette époque il y avait encore des frontières autour de la France, Menton d’une seule traite, nous voulions dormir en Italie.
Donc pas question de s’arrêter bien longtemps, quoique avec un réservoir de 25 litres cela ne laissât qu’une autonomie max de 350 km…
La première nuit fut dans les environs de San Remo, ce fut l’occasion de tester le confort intérieur qui nécessita quelques ajustements.
L’Italie du Nord fut traversée en passant par Venise, on nous avait prévenus sur l’honnêteté légendaire des commerçants italiens envers les voyageurs étrangers, ce qui ne nous a pas empêchés de nous faire arnaquer gentiment et avec le sourire en prime au premier plein d’essence. Il est vrai qu’à l’époque la Lire italienne ne valait pas grand-chose, les chiffres étaient astronomiques pour une bouchée de pain.
Dix mille lires pour quelques litres d’essence, comment ne pas s’y perdre.
Je me souviens très bien du pompiste qui, avec de grands gestes, tentait de nous expliquer qu’il fallait absolument visiter la « Piazza San Marco » tel un illusionniste, il détournait mon attention pendant qu’il me rendait la monnaie, du moins c’est ce que je pensais.
Évidemment nous ne pouvions passer à côté sans la visiter, il faut admettre que Venise reste et restera une escale touristique hors du temps ; La Basilique, le Palais des Doges, la tour de l’Horloge, la Piazzeta et ses colonnes, bref, un passé chargé d’histoire, rien qu’aller boire un cappuccino au café Florian dans ses salons du XVIII est un moment de grâce.
Malgré tout, le premier vrai dépaysement fut la Yougoslavie, autant l’italien est relativement proche du français, à bien des égards, mais là rien que la langue nous était totalement étrangère. Faire les courses à l’épicerie de Kozina, décrypter les noms des produits, rendre la monnaie fut notre première épreuve en tant que voyageur novice.
L’accueil, les paysages, la nourriture, la température, les diversités culturelles, tout cela nous laissera des souvenirs encore inoubliables à ce jour et on a même du mal à s’imaginer que ces peuples se soient entre-déchirés.
Il est vrai que la Yougoslavie tenait sous la férule de Tito jusqu’à sa mort et que la côte Adriatique était le lieu de vacance et de villégiature pour de nombreux Européens, principalement les Allemands.
Je présume que les pouvoirs locaux faisaient en sorte que cela ne paraisse pas afin d’attirer le touriste.
Quoi qu’il en soit, Zadar, Split, Dubrovnik furent des escales forts agréables.
Je me souviens des fortifications de Dubrovnik, des remparts en pierre du XVIe siècle, de la ville aux rues pavées, particulièrement Stradun, ou on y trouve de nombreux restaurants et boutiques, des dépôts de boulets en pierre, parfaitement rond, vestiges d’un autre temps, et je pensais à ceux qui avaient dû les tailler de la sorte, bien qu’a cette époque les envahisseurs potentiels progressaient à pied ou en bateaux à voile, le temps n’avait pas la même valeur.
Et tous ses monuments dont l’église baroque Saint-Blaise, le palais Sponza, de style Renaissance ou encore le Palais du Recteur, de style gothique, sans oublier ses environs avec de petites criques ou l’eau de couleur émeraude est limpide comme dans un aquarium.
Cette ville côtière fut autrefois la capitale d’une république maritime connue sous le nom de République de Raguse. Ses habitants s’appellent des : ragusains, curieux n’est-ce pas ? Bien que je n’aie rien à dire à ce sujet, moi qui suis originaire de Béziers, on appelle ses habitants des : Biterrois, ce qui est tout aussi original.
Nous aurions bien voulu y séjourner plus longtemps mais nous nous sommes promis d’y revenir l’année suivante.
La baie de Kotor, impressionnante de beauté avec ses montagnes sauvages, escarpées qui dévalent abruptement dans la mer, la route à flanc de montagne qui en fait le tour et ce petit village pittoresque, l’île Saint Georges et Notre dame du Récif, sacré idée que d’aller construire un monastère sur un petit bout de cailloux au milieu de l’eau. Il y avait tellement à visiter… Nous n’avions que cinq mois et notre but était encore loin.
Descendre jusqu’en Grèce en suivant la côte Adriatique aurait été vraiment chouette mais l’Albanie nous refusait le passage et nous fûmes contraints d’en faire le tour.
Les routes de montagne du Monténégro furent le premier test pour notre vaillante 2CV, sinueuses, escarpées, abruptes et parfois étroites, mais tellement belles, notre monture s’en tira à merveille.
Dans toutes les villes et villages que nous avions traversés et cela quelle que soit leur importance, dès la tombée de la nuit les rues principales ou les places étaient bondées de jeunes, qui semblaient aller et venir sans but, l’ambiance était conviviale, animée, était-ce les prémices d’une révolution future ? Qui sait !.
À Budva, dernier arrêt au bord de la mer, il nous fallait, a regret, quitter l’Adriatique et traverser les reliefs en direction de la ville de Podgorica, nichée dans une petite plaine débouchant sur un lac, enclavée au milieu des montagnes ensuite direction Mitrovica.
Comprenant que la route serait difficile, nous avions décidé de nous avancer sur le trajet, hésitant sur la route à suivre, alors que la nuit venait de tomber, nous demandâmes notre chemin à la première personne que nous vîmes, celui-ci fort aimablement et avec de grands gestes, toujours le même mot « sneh ! » nous fit comprendre que la route que nous envisagions de prendre était sous la neige, il nous indiqua sur la carte la meilleure route pour aller à Mitrovica.
Après plusieurs dizaines de kilomètres, voyant les méandres de la route, la pente qui s’accentuait, le peu de circulation, nous décidions de faire halte dans un petit village pour y passer la nuit.
Au matin, réveillé par le cri d’un rapace, on écarte les rideaux, le spectacle était magnifique au milieu des montagnes, le temps était doux en ce début d’automne. Prendre son petit-déjeuner dans un aussi beau décor, sans s’occuper de l’heure, sans penser au lendemain, que demander de mieux.
Replier le matelas, remettre la banquette en place, faire un brin de toilette, ranger le matériel dans le coffre, vérifier le niveau d’huile, sortir les cartes et jeter un œil au trajet sera notre routine durant cinq mois au travers de contrées aussi diverses que variées.
Moteur ! Et nous voilà parti pour de nouvelles aventures, la route est sinueuse, ardue, la deudeuche semblait très à l’aise, elle grimpait sans broncher, enchaînant virage après virage, puis ce fut la descente sur la vallée de Mitrovica.
Si les massifs montagneux après Kotor valaient vraiment le détour, en revanche les villes de Mitrovica et Pristina nous parurent plutôt maussades. Ambiance médiévale, agricole et pauvre, on ressentait nettement la différence de niveau de vie entre les régions. De plus le temps gris ne nous incitait pas à la visite.
Nous regrettions vraiment la côte Adriatique, nous n’avions qu’une envie, traverser au plus vite cette région, passer par Skopje et rejoindre la Grèce, le soleil et la Méditerranée.
Sur la route nationale entre Pristina et Skopje, nous fûmes arrêtés par un policier pour excès de vitesse, vous imaginez ? Il prétendait nous avoir vus passer à plus de 100 km/h, j’eus beau essayer de le convaincre que c’était matériellement impossible, je lui sortais le manuel de la voiture mais il ne voulait rien entendre, il voulait surtout qu’on lui paye sur place le procès-verbal rédigé dans une langue que nous étions bien en peine de déchiffrer, sauf le chiffre de 100 km/h et le montant du PV en monnaie locale.
Devant son insistance et les menaces de bloquer la voiture, contraint et forcé, je lui réglais le montant inscrit et il nous laissa continuer notre chemin en empochant l’argent dont je suppose que personne d’autre n’en aura vu la couleur.
Skopje, une ville qui ne laisse pas indifférent avec son vieux pont de pierre, en arc, de l’empereur Dusan, construit au XVième siecle, sa forteresse byzantine qui domine la vieille ville et son vieux bazar. Il y a bien sur les traces de Mère Teresa, née en ces lieux en 1910, devenu une figure nationale avec son prix Nobel de la paix.
Ce soir-là nous avons dormi dans un champ de maïs à la sortie de Skopje, réveillé au matin par le bruit des tracteurs, nous avons repris la route pour Thessalonique.
Deux cents kilomètres et une frontière à traverser avant de revoir la mer.
à suivre...